Longtemps souhaitée, toujours repoussée, enfin adoptée, tel pourrait être le premier sentiment du lecteur qui se pencherait sur la loi n°2002-303 du 4 mars 2002. Cependant, on le devine, on le perçoit, les droits des malades et son volet « Responsabilité des professionnels » de santé se construisent patiemment. Loi d’importance par son volume (126 articles, 8 codes modifiés) comme sur le fond, la loi du 4 mars 2002 se subdivise en cinq titres.
IDENTIFICATION ET CHOIX POLITIQUES
En plus des droits des malades, cette loi de mars 2002 un peu « fourre-tout » évoque aussi la qualité du système de santé ou encore la démocratie sanitaire, la libération des détenus malades, l’indemnisation du handicap. Comprenant 126 articles, elle consacre en autres des droits fondamentaux comme le respect de la dignité, le respect de la vie privée et du secret médical, le droit de soins visant à soulager la douleur et celui d’avoir une vie digne jusqu’à la mort. Elle évoque enfin le droit à l’indemnisation des accidents médicaux sans faute, des affections iatrogènes (affections provoquées par des médicaments) et des infections nosocomiales (infections occasionnées lors d’un séjour hospitalier).
D’emblée, le gouvernement Jospin a voulu légiférer sur une question éthique qui avait soulevé de nombreuses controverses en 2000 et 2001 : il s’agit de ce que les médias avaient appelé « l’arrêt Perruche ». Il l’a fait dans un titre 1er à la signification forte « Solidarité envers les personnes handicapées ». L’article 1er dit : « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance » mettant un terme à un principe jurisprudentiel d’indemnisation des enfants nés handicapés. Ainsi dorénavant, « les parents peuvent demander une indemnisation au titre de leur seul préjudice » les charges particulières découlant du handicap de l’enfant devant être compensées dans le cadre de la solidarité nationale. Plus particulièrement, la loi du 4 mars reconnaît à chacun le droit d’être informé de son état de santé. Cependant, cette loi dans son article L.1110-1 CSP, pose le droit à la protection de la santé comme un droit fondamental, pose le droit à la dignité (art L1110-2), pose la non discrimination dans l’accès à la prévention et aux soins (art L.1110-3).
SOLIDARITÉ ENVERS LES PERSONNES HANDICAPÉES (TITRE I)
Ce titre vise principalement à limiter les possibilités d’indemnisation des personnes nées avec un handicap non diagnostiqué lors de la grossesse. Le texte a en fait une seule finalité, implicitement affirmée par le législateur : mettre fin à la jurisprudence dite « Nicolas P. » par laquelle la Cour de Cassation a reconnu le droit à un enfant né handicapé d’obtenir réparation du préjudice résultant du défaut de diagnostic durant la grossesse. Le titre « solidarité envers les personnes handicapées » est ainsi la réponse législative aux critiques parfois véhémentes formulées à l’encontre des arrêts de la Cour de Cassation.
Le second point est relatif à l’hypothèse classique de faute médicale ; on retrouve peu ou pour la rédaction de l’article 1382 du code civil : « la personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé ou n’a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer ». Cet alinéa a pour fonction d’apaiser les craintes des médecins échographistes dès lors que leur responsabilité n’est susceptible d’être recherchée que sur la base d’une faute médicale.
Le troisième point entend dissocier les souffrances morales des parents, seules indemnisables au titre de la responsabilité médicale, de la compensation relevant de la solidarité nationale. L’indemnisation des parents aura pour seul fondement la faute contractuelle du médecin et ne saurait inclure les charges particulières liées au handicap de l’enfant, relevant de la solidarité nationale.
DÉMOCRATIE SANITAIRE (TITRE II)
Ce titre regroupe des dispositions d’inégales importances. Au-delà de l’artifice textuel, signe contemporain d’une nouvelle gouvernance, la démocratie se construit autour d’un tryptique : l’affirmation ou la reconnaissance des droits des patients, les droits des usagers du système de santé, la responsabilité des professionnels de santé. Ce titre précise et renforce les droits des malades ainsi que le rôle des associations de santé tout en redessinant le cadre territorial des politiques de santé.
Les principaux points en sont :
➢ L’énoncé des droits de la personne malade
Le droit au respect de sa dignité (art L1110-2 CSP) ; le principe de non discrimination dans la prévention et l’accès aux soins (art L1110-3 CSP, exemple : non discrimination en raison des caractéristiques génétiques) ; Le droit au respect de la vie privée du malade, notion regroupant le respect de la confidentialité des informations le concernant ainsi que le secret professionnel (art L.1110-4 CSP) ; le droit à l’innovation médicale (art L.1110-5 CSP) : le médecin se doit d’apporter des soins consciencieux et attentifs à la personne qu’il soigne. Il est reconnu au malade le droit de bénéficier en fonction de son état de santé et de l’urgence médicale des soins les plus appropriés au regard des connaissances médicales avérées.
➢ Le renforcement de la participation des patients aux soins
Le droit des malades à l’information médicale, information sur l’acte et les risques fréquents ou graves normalement prévisibles (art L.1111-2 CSP) ; information sur les conditions tarifaires (art L1111-3 CSP).
La règle du consentement et de la coopération aux soins (art.1111-4 CSP). Elle modifie à cette fin les conditions d’accès du malade aux informations concernant sa santé et notamment les modalités d’accès au dossier médical en instaurant une possibilité d’accès direct à celui-ci (art L.1111-7 CSP et du décret n° 2002-637 du 29 avril 2002). En outre, les commissions locales de conciliation disparaissent et sont remplacées dans chaque établissement par des « commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge » (art L.1112-3 CSP). Les commissions des relations avec les usagers contribuent à l’amélioration de la qualité de l’accueil des malades et de leurs proches. Elles veillent au respect des droits des usagers et, le cas échéant, à ce qu’ils puissent exprimer leur grief auprès de la direction de l’établissement. Consultées sur la politique de santé de l’établissement, les commissions peuvent avoir accès aux données médicales relatives aux plaintes, sous réserve de l’accord préalable de la personne ou de ses ayants droits en cas de décès.
➢ Le renforcement de la participation des usagers au fonctionnement du système de santé
Les associations de patients et d’usagers du système de santé sont progressivement reconnues comme des acteurs de santé. La loi du 4 mars 2002 consacre la participation active des associations agréées d’usagers au processus de soins hospitaliers par les services qu’elles rendent aux malades : assistance psychologique, relais d’informations, soutient à la réinsertion sociale, réalisation de campagnes médiatiques sur la recherche médicale et représentation des usagers dans les différentes instances hospitalières ou de santé publique (Commissions régionales de conciliation, Commission nationale d’indemnisation des accidents médicaux, Office national d’indemnisation des accidents médicaux).
Parallèlement à ce rôle accru, la loi exige des garanties de représentativité des associations qui devront faire l’objet d’un agrément régional oui national pour exercer leurs missions (art L.1114-1 CSP).
➢ Le renforcement de la responsabilité des professionnels de santé
La loi instaure de nouvelles obligations de transparence des professionnels de santé, qu’il s’agisse de la déclaration des accidents médicaux (art L.1413-14 CSP), mais aussi de leurs relations avec les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé. Le dispositif « anti-cadeaux » issu de la loi n°93-121 du 27 janvier 1993 interdisait aux professionnels de santé de recevoir des avantages directs ou indirectes des entreprises fabriquant des produits de santé. Ce dispositif est aujourd’hui étendu afin de pouvoir sanctionner pénalement les entreprises proposant les dits avantages aux professionnels de santé (art L4113-6al 1er CSP). La loi du 4 mars 2002 complète ce dispositif et l’étend aux professionnels paramédicaux, aux pharmaciens ainsi qu’aux autres professionnels de santé (membre de l’ANES, de l’AFSSAPS…). Elle impose de faire connaître au public les liens que les professionnels ont avec les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé (art L.4113-13 CSP).
➢ La modification du système de santé
Un nouveau traitement d’élaboration et de concertation des politiques de santé est mis en place par la loi du 4 mars 2002, tant à l’échelon national qu’à l’échelon régional : à l’échelon national, la loi crée auprès du ministre chargé de la santé une nouvelle instance, le Haut Conseil de la santé (art L1411-1-3 CSP) qui remplace le Haut Comité de la santé publique. Elle renforce les missions de la Conférence nationale de santé. Enfin, elle instaure une nouvelle procédure d’élaboration des orientations de la politique de santé ; à l’échelon régional, elle crée une structure unique, les conseils régionaux de santé (art L.1411-3 CSP) qui se substituent aux conférences régionales de santé instituées par l’ordonnance du 24 avril 1996.
QUALITE DU SYSTEME DE SANTE (TITRE III)
Cet intitulé est sans doute celui qui correspond le mieux à son contenu. La qualité des soins passe en priorité par une formation professionnelle accrue des acteurs de santé. Pour améliorer la qualité du système de santé, la loi intervient dans trois grandes directions :
➢ Le renforcement des obligations de compétence et de déontologie des professionnels de santé
La loi introduit un chapitre II relatif à l’activité de chirurgie esthétique et règlemente ainsi cette activité médicale. Selon l’article L.6322-1 du CSP, l’intervention de chirurgie esthétique, y compris dans les établissements publics de santé, ne peut être pratiquée que dans des installations satisfaisant à des conditions techniques de fonctionnement et faisant l’objet d’une accréditation. L’autorité administrative accorde une autorisation pour une durée limitée renouvelable. Les droits des patients sont expressément renforcés puisque le praticien doit informer son patient des conditions de l’intervention, des risques et des éventuelles conséquences et complications (art L.6322-2 CSP), information formalisée par la remise d’un devis détaillé. En second lieu, la loi unifie l’organisation des professions paramédicales (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicures, podologues, orthophonistes et orthoptistes) et crée à cette fin un Conseil des professions paramédicales (art L4391-1 CSP). Ces professionnels ne pourront exercer à titre libéral que s’ils sont inscrits à un fichier géré par un conseil des professions paramédicales organisé à l’échelon régional et à l’échelon national, et chargé des règles disciplinaires. Le conseil contribue à la gestion du système de santé qu’à la promotion et à la qualité des soins. Il participe à l’évaluation des pratiques professionnelles par l’élaboration de règles de bonnes pratiques paramédicales. Enfin, la loi renforce les obligations de formation continue des professionnels de santé (art L.4133-1 CSP) avec validation des acquis de formation professionnelle. Il est créé un Conseil national de la formation continue. Les établissements publics de santé consacrent à la formation continue de leur personnel des crédits dont le montant ne pourra être inférieur à un pourcentage fixé par décret de la masse salariale brute hors charge de ces personnes (art L6155-4 CSP).
➢ Mutualisation et coopération des acteurs de santé
La loi permet aux professionnels de santé d’organiser leur activité professionnelle sous la forme coopérative. Les articles L.6163-1 à L 6163-10 du CSP définissent ces nouvelles structures que sont les sociétés coopératives hospitalières de médecins. Il s’agit de sociétés d’exercice professionnel qui ont pour objet l’exercice en commun de la médecine. Elles sont composées entre médecins ou entre médecins et autres acteurs de santé et ont la qualité d’établissements de santé. En second lieu, la loi du 4 mars 2002 facilite la coopération hospitalière en assouplissant les conditions de création des groupements de coopération sanitaire. En troisième lieu, la loi redéfinit les réseaux de santé. Deux types de réseaux doivent être distingués (art L.6321-1 CSP) :
- les réseaux de santé chargés de favoriser l’accès aux soins, la coordination, la continuité et l’interdisciplinarité des prises en charge sanitaires,
- les réseaux coopératifs de santé : ce sont des sociétés de prise en charge pluridisciplinaire répondant aux critères de définition des réseaux de santé.
➢ Organisation de la prévention et de la santé
Afin de renforcer l’efficacité des politiques de prévention et de la promotion de la santé, la loi prévoit la définition par l’Etat après consultation des caisses nationales d’Assurance maladie et de la Conférence nationale de santé de programmes prioritaires nationaux, permettant de coordonner les actions régionales et locales. La coordination des différents acteurs sera assurée par un Comité technique national de prévention (art L1417-3 CSP). En outre, la loi crée un institut national d’éducation et de prévention pour la santé à l’article L.1417-4 du CSP avec pour mission d’exercer une fonction d’expertise et de conseil en matière de prévention et de promotion de la santé. Cet institut doit promouvoir l’éducation pour la santé dans un souci d’amélioration, de maitrise et de réduction des risques pour la santé de la population. Le décret n°2002-639 du 29 avril 2002 ajoute un chapitre IX « Prévention et éducation pour la santé » au code de la santé publique. Le décret fixe les modalités d’organisation, de fonctionnement ainsi que les dispositions comptables et financières. L’institut est un établissement public de l’Etat qui remplace le Comité français d’éducation pour la santé. Les articles R.796-2 à R.796-10 du code de la santé publique fixent les modalités d’organisation et de fonctionnement de l’institut (composition du conseil d’administration, missions du conseil d’administration, durée du mandat du directeur général…). Les articles R.796-11 à R.796-17 sont relatifs aux dispositions comptables et financières (dotation globale versée par la CPAM dans la circonscription de laquelle se trouve le siège d’institut, dépenses de fonctionnement…).
L’application de ces différentes dispositions est subordonnée à un décret de nomination du directeur général. In fine, le décret précise (art R.796-18 CSP) les modalités de fonctionnement du Comité technique national de prévention, chargé de la coordination des actions de prévention et d’éducation pour la santé.
RÉPARATION DES CONSÉQUENCES DES RISQUES SANITAIRES (TITRE IV)
En adoptant ce titre lors du vote relatif à la loi sur les droits des malades et la qualité du système de santé, le législateur a souhaité mettre fins aux disparités d’indemnisation des accidents médicaux qui pouvaient subsister entre les juridictions civiles et les juridictions administratives. Le mécanisme principal de ce nouveau dispositif repose sur l’assurance responsabilité civile obligatoire pour les professionnels de santé (art L.1142-2 CSP).
Cette obligation d’assurance responsabilité civile est générale. Elle vise tous les professionnels de santé exerçant à titre libéral ainsi que toute personne morale (établissement de santé), à l’exception de l’Etat.
Cette nouvelle procédure d’indemnisation repose sur la création de trois nouvelles structures :
➢ Les Commissions régionales de conciliation et indemnisation des accidents médicaux
Il est créé au sein de chaque région une commission régionale de conciliation et d’indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales, présidée par un magistrat et composée d’usagers du système de santé, de professionnels de santé, et de responsables d’établissements de santé. Les règles de fonctionnement ont été fixées par le décret n°2002-886 du 3 mai 2002. Ces commissions ont pour principale fonction de faciliter le règlement amiable des litiges relatifs aux accidents médicaux. Elles peuvent ainsi être saisies par toute personne s’estimant victime, ou par ses ayant droits en cas de décès, d’un dommage imputable à une activité de prévention, de diagnostic ou de soins (art L.1142-7 CSP). Elles doivent, dans les six mois de leur saisine, émettre un avis sur les circonstances de l’accident, la nature et l’étendue des dommages, et sur le régime d’indemnisation applicable (art L.1142-8 CSP, accident fautif relevant de l’assurance ou accident non fautif relevant de la solidarité nationale). Cet avis est opposable à tous les acteurs en cause et ne peut-être contesté qu’en cas d’action au fond devant les juridictions compétentes. A cette fin, les commissions doivent diligenter des expertises qui sont gratuites pour les plaignants (art L.1142-9 et suivant CSP).
➢ La commission nationale des accidents médicaux
La loi institue également auprès du ministre chargé de la santé et du garde des sceaux une Commission nationale des accidents médicaux dont la mission principale est l’inscription des experts sur une liste nationale d’experts en accidents médicaux. Elle est aussi chargée de formuler des recommandations sur la conduite des expertises, de veiller à l’application homogène du nouveau dispositif et d’évaluer ce dernier. Les règles de composition et de fonctionnement de la commission nationale ont été fixées par le décret n°2002-656 du 29 avril 2002.
➢ L’office national d’indemnisation des accidents médicaux
La loi du 4 mars 2002 institue enfin un nouvel établissement public à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre de la santé et chargé de l’indemnisation des accidents médicaux au titre de la solidarité nationale et de la prise en charge financière des expertises qui seront ordonnées par les commissions régionales. Son organisation et son fonctionnement ont été précisés par le décret n° 2002-638 du 29 avril 2002.
Groupe de travail santé publique (EHESP 2010)
Jérôme LE BRIERE
Mounia VERGNET
Thierry PERRIN
Elaboré par Cyril BRIDE